dimanche 8 novembre 2009

Prends-moi pour un con


Les clés USB ne sont pas inaltérables, surtout quand on les confie à des systèmes d'exploitation merdiques ou obsolètes. Cette semaine, j'ai commis l'erreur d'essayer d'utiliser ma clé de 2 Go au bureau, sur un Mac G3 antédiluvien utilisant Mac OS 9.2 comme il y a une douzaine d'années (non seulement ça existe encore, mais on vend encore des journaux fabriqués avec ça; inutile de dire que leurs finances ne sont pas brillantes). Bref. En branchant ma clé sur ce Mac obsolète, j'ai obtenu deux résultats: j'ai planté ce bon vieux Mac... et niqué la table d'allocation des fichiers de ma clé.

Comme je ne badine pas avec la sécurité, j'ai préféré mettre la clé au rebut, et donc me voici parti pour Carrefour dans l'idée d'acheter une clé USB neuve. Pas la peine d'aller dans une boutique spécialisée, de nos jours ce type de matériel est on ne peut plus banal.

Justement. Comme c'est devenu banal, ça a cessé d'échapper au génie du marketing, et donc il y a maintenant autant de modèles de clés USB que de tubes de dentifrice, de paquets de lessive ou de bombes de mousse à raser: ça a beau être fondamentalement toujours la même camelote sortie des mêmes usines, les marketeux vous proposent ça sous les aspects et les emballages les plus divers, de façon à pouvoir vous vendre rigoureusement la même camelote sous vingt conditionnements différents -- de sorte que vous n'ayez qu'une chance sur vingt de porter votre choix sur le meilleur rapport qualité-prix.

Sur le rayon, il y avait donc des clés USB de toutes couleurs: rouges, vertes, bleues, irisées; de toutes formes: pliantes, avec capuchon rétractable ou pas, profilées comme des suppositoires ou des pandas -- toutes choses dont je me fous éperdument --; et il y en avait aussi de toutes capacités: 2 Go, 4 Go, 8 Go, 16 Go, 32 Go, 85 Go. Ce n'est pas parce que cette donnée est la plus pertinente que l'emballage la met en valeur, bien évidemment, et la mention de la capacité, si elle figure toujours, est exprimée dans des couleurs, des typographies et des grosseurs variées (de moyen à minuscule), sur des emplacements plus ou moins évidents (genre: à l'italienne, au verso du blister). Et évidemment, toute cette variété artificielle entraîne la plus grande diversité des prix pour la plus grande exaspération du consommateur. C'est le but recherché: par énervement, le gus va évidemment finir par choisir à peu près au hasard et, voyez comme le hasard fait bien les choses, il ne choisira probablement pas la meilleure camelote ni le prix le plus avantageux.

Le consommateur exaspéré que je suis finit donc par se dire: font chier, je vais prendre la plus petite et la moins chère. Ouiche. Encore faut-il la repérer, cette fameuse aiguille dans la meule de foin. Mon esprit de synthèse, mon oeil perçant (tu parles: plus myope et presbyte que moi, t'es aveugle) et mes stupéfiantes capacités de discernement finissent par repérer deux saloperies dans le genre "petite et courageuse" -- qui, à en croire les mâles sans personnalité, a la préférence de ces dames. Ces merveilles sont: une clé de 4 Go à 8,49 euros, et une de 8 Go, presque semblable extérieurement, avec une jolie mention "8 GB" couleur de feu, à 9,99 euros: le double de capacité pour un prix équivalent, pensé-je. Marché conclu, zou, me voilà parti avec ma jolie cléclé.

De retour dans mes pénates, je constate avec un certain ahurissement qu'au-dessous et au-dessus de la mention "8 GB" couleur de feu, qui avait attiré mon attention, figurent deux mentions "4 GB" dans un bleuté d'une discrétion de très bon goût. C'est quoi ce truc, me dis-je, ils ont eu l'idée sotte et grenue de partitionner la clé de 8 Go en deux moitiés de 4 Go chacune? Que nenni, ouvrons mieux les yeux: les mentions sont textuellement "4 GB USB" et "4 GB online" (avec "USB" et "online" dans un typo notablement plus petite).

A ce moment, le corbeau honteux et confus commence à comprendre qu'on s'est foutu de sa gueule, et se met à lire les mentions en tout petits caractères (du Light corps 6) au verso du blister, lesquelles disent benoîtement: "Safely keep your data online and double the capacity of your USB drive with 4 GB (1) on the nolimitmemory.com space". En fait, soyons honnêtes (contrairement au distributeur de cette merde) et admettons que la dite mention est même traduite dans la langue de Landru et du docteur Petiot: "Sauvegardez vos données en ligne et doublez la capacité de votre clé avec 4 GB (1) sur l'espace nolimitmemory.com." Sacré putain de bon sang de nom de Dieu d'enculés de merde, pense le consommateur floué, qui se reporte à la note (1) et lit avec une rage doublée d'une certaine envie de rigoler tellement c'est énorme (si je peux dire, vu que la note est composée en Light corps 4,5): "for free for one year/gratuit pendant 1 an".

Tout en juranmèzunpeutard, je jette un nouveau regard sur le recto du blister, et je constate que les enfoirés du marketing se sont décidément bien foutus de ma gueule, car ce joli produit a pour nom commercial "Twice" (c'est-à-dire "deux fois", comme ne disent pas nos amis belges), accompagné du slogan "Memory is Everywhere". Et ça, je l'avoue, c'est vraiment pousser le foutage de gueule à des niveaux stratosphériques: apprenez, cher informaticien amateur, que quand votre clé USB est pleine, vous pouvez encore sauvegarder vos données à un autre endroit; cette leçon vaut bien, sans doute, l'euro cinquante centimes de différence avec la conne de clé USB de 4 GB de la même marque et du même modèle qui ne vous dispensait pas ce sage conseil.

Résultat des courses: pour avoir le plaisir de comprendre qu'un empapaouté du marketing m'a pris pour un con, j'ai seulement dû acquitter une surtaxe de 17,67%. Memory may be everywhere, but my money is no more in my pocket.

Elle est bien bonne, je dois l'admettre. N'empêche. Toi le marketeux quand tu mourras, quand le croque-mort t'emportera, puisse-t-il te conduire dans une benne à ordures au septième cercle de l'enfer.