jeudi 13 juin 2013

Votre hypermarché soutient les importateurs locaux

Tout n'est pas noir, allez, et la planète n'est pas encore foutue. Les consciences s'alarment, les mentalités évoluent, même chez les vampires de la distribution. Tenez, voilà-t-il pas que l'hypermarché Carrefour de Rambouillet (Yvelines) où je fais tous les jours mes modestes emplettes s'est pavoisé de panonceaux se glorifiant de vendre 70 % de produits locaux, à moins que ce ne soit 100 %, je ne sais plus trop.


Mazette! C'est bien sûr difficile à croire, je me doute que leurs chiffres doivent être un tantinet bidonnés, mais je sais quand même que ça n'est pas entièrement faux. Voici en effet des mois que j'achète dans ce gigantesque Carrefour de Rambouillet des oignons et des échalotes venant d'un producteur on ne peut plus local, un petit gars de 28140 Terminiers, c'est-à-dire le fin fond du trou du cul de l'Eure-et-Loir, quelque part dans la cambrousse, à mi-chemin entre Chartres et Orléans. Le gars, j'imagine, (merci de lire ce qui suit avec l'accent du terroir) doit êtrre un courrageux paysan beaucerron (béret basque, chemise à carreaux), qui a rréussi à la forrce du poignet à convaincrre le dirrecteurr des ventes de cette grande surface sans âme de lui donner sa chance. Ah! Doit-il en falloir, du travail et de l'abnégation, pour parvenir à vendre ses oignons locaux à une grande usine pareille.



Ah ben tiens, justement, il me faut de l'ail. Allons voir ce qu'ils ont au rayon des produits locaux. Pas d'erreur: juste au-dessus des aulx (un ail, des aulx), gnia un panneau de soixante centimètres de haut qui dit "produit local". C'est bien de continuer à soutenir mon petit producteur eure-et-loirien (on dit eurélien, me chuchote-t-on dans l'oreillette); je suis pour les circuits courts, moi, ça me fait vraiment chier d'acheter des trucs qui ont franchi les océans dans d'immenses porte-conteneurs polluants alors que les péquenauds du coin sont très capables de les produire et même d'alimenter les grandes surfaces avec. C'est bien simple, je suis prêt à payer trois fois plus cher pour avoir des aulx locaux! Ah mais.
 Je jette un regard myope sur l'étiquette de mes aulx locaux. "La ferme des Arches, 28140 Terminiers". Pas d'erreur, c'est bien.
Mais l'inconvénient des myopes, c'est qu'ils lisent très bien les petits caractères. Or sur l'étiquette, il n'y a pas seulement marqué "28140 Terminiers". Il y a aussi la mention légale de traçabilité, qui dit... "Origine: Argentine".
'tendez voir... Je suis nul en géographie, mais j'ai vaguement l'impression que l'Argentine, ça n'est pas tout à fait en Eure-et-Loir. Bizarre, bizarre, comme c'est étrange. Un instant j'imagine mon petit producteur du fin fond de la Beauce allant quérir ses aulx à Salta, San Salvador de Jujuy ou Tucuman, avant de les rapporter courageusement, dans sa charrette tirée par son sympathique petit âne, jusqu'à sa ferme typique où l'attend son vieux chien.

-- Excusez-moi, monsieur le chef du rayon légumes de mon hypermarché Carrefour, pourriez-vous m'expliquer pourquoi des aulx argentins sont vendus au rayon "produits locaux"?

-- Mais parce que cet ail est locail, mon cher monsieur; voyez, je l'achète à la Ferme des Arches, dans l'Eure-et-Loir. Lisez vous-même.

-- Oui, mais la Ferme des Arches, ce n'est qu'une appellation commerciale, un logo, probablement même pas plus qu'une adresse postale. En tout état de cause, il s'agit à l'évidence de l'importateur, pas du producteur.
-- Pas du tout, lisez vous-même: la Ferme des Arches. Je vous le répète, j'achète pas loin d'ici, dans l'Eure-et-Loir. Regardez: sur les oignons, c'est pareil. Sur les échalotes, c'est pareil. Lisez vous-même.

-- Vous vous foutez de ma gueule? Ce que je lis sur l'étiquette, moi, c'est "Origine: Argentine". Alors?

-- Euh, je, hum. Allons, ne vous énervez pas, monsieur, pourquoi élever la voix, quel intérêt aurais-je à vous mentir? Vous voyez bien que ça vient de La Ferme des Arches...

-- Me prenez pas pour un con, merci. Et vous mettez ça juste quinze centimètres sous un panonceau "produit local". Ça s'appelle de la publicité mensongère. C'est dégueulasse.

-- Mais non, hum, vous avez mal compris... Le panonceau est fait pour tout le rayon, où l'on trouve également des pommes de terre, regardez, là, à vos pieds...

-- Ah vous, fermez-la, hein. C'est honteux. Sacré putain de nom de Dieu d'enfant de salaud de marketeux de merde, vous me faites dégueuler, allez en enfer.

Alors comme ça, selon Carrefour, pour que le produit soit local, il suffit que son importateur soit local. A ce compte-là, je suis surpris qu'ils ne vendent que 70% de produits locaux. Je les entends d'ici: "Arrêtez de nous faire payer des impôts, bande de salauds de partageux bolchéviques, ou bientôt nous allons être forcés de délocaliser même nos importateurs!"

Combien on parie que la Ferme des arches est une filiale à 100 % de Carrefour et que son téléphone de Terminiers Eure-et-Loir est redirigé directement vers le 23e étage de la tour Vincent Pinaubouygues à Puteaux?

Les mecs du marketing, il faut tous les tuer leur cracher sur les pieds (j'opère cette correction sur le conseil d'une âme sensible, qu'en fait j'approuve parce que je suis beaucoup moins méchant que je ne voudrais en avoir l'air).

Edit: Etant retourné ce matin sur le même rayon pour prendre les photos qui illustrent ce post, j'ai pu constater la présence (toujours sous le panonceau "produit local" et à côté des aulx argentins) de très beaux oignons locaux d'Eure-et-Loir... importés de Nouvelle-Zélande par la même Ferme des Arches.

7 commentaires:

  1. J'imagine que tu as jeté un coup d'œil à leur site Web... Sympa d'afficher fermedesarches.com sur l'étiquette, ça fait moderne. Mais vu que c'est réservé aux fournisseurs et aux salariés, ça aide pas trop le consommateur lambda.
    D.S.

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  2. « Ferme des arches » est bien un revendeur et non un producteur. Capital de 4 M€, CA de 19 M€, Commerce de gros : achat, stockage et revente de fruits et légumes. Merci www.societe.com :D

    Si quelqu'un est prêt à payer 7.90 € pour accéder aux statuts (et donc à la liste des actionnaires), c'est ici : http://www.societe.com/cgi-bin/vitrine?rncs=413156670

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  3. Pour Google :
    Jean-Luc PAROU
    Jean SEVESTRE
    Luc DOUSSET
    Michel PROULT
    Michel BLANVILLAIN
    Yves LANDRY
    Dominique PERDEREAU

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  4. Bonjour Mr Ancey,
    Je suis Jean-Luc PAROU, PDG de FERME DES ARCHES et agriculteur. Suite à votre article, je souhaite porter à votre connaissance, les informations suivantes :
    Concernant notre société, FERME DES ARCHES est une Organisation de 35 producteurs installés dans un rayon 15 kms autour de TERMINIERS. Nous produisons, chaque année, environ 300 hectares de condiments (Oignons, Ails, Echalotes, echalions)soit en moyenne un peu moins de 10 hectares par exploitation. Notre production est mutualisée et a représenté en 2012 94,75 % de nos volumes commercialisés.
    Concernant l'origine de nos produits, je vous apporte les précisions suivantes :
    Dans le cadre de la législation, tous metteurs en marché (Ferme des Arches en l'occurence) et tous distributeurs (Carrefour dans ce cas précis) sont tenus de proposés aux consommateurs un produit sain et marchand, (ex: Absence de germe externe, non pourri,non dénudé) Selon la catégorie,basique ou coeur de marché l'exigence de la réglementation est plus ou moins sévère. Afin de respecter, cette législation, le marché est approvisionné en origines différents selon les produits et les années (Qualité de la production):
    Pour l'ail, les périodes de commercialisation sont les suivantes :
    Origine France : Août à Novembre voir Décembre,
    Origine Espagne : Novembre à Février-Mars,
    Origine Argentine : Février à Juin-Juillet,
    Origine Espagne (Nouvelle récolte) : Juin-Juillet.
    Pour l'oignon :
    En référence basique où les exigences de qualité visuelle sont moindres, en relation avec le distributeur, nous proposons notre produit du 1er juillet au 30 juin (toute l'année)
    En référence Coeur de Marché où les exigences de qualité sont plus draconniennes, nous approvisionnons nos clients de la manière suivante:
    Notre production Origine France (Récolte de début juillet à fin septembre)==> Fin juillet à fin mai.
    Origine Hémisphère Sud (Récolte Janvier) : Juin à fin juillet.
    Pour l'échalote,grâce à la qualité de conservation, nous proposons du produit origine France toute l'année.
    Notre objectif est le même que vous à savoir : vendre si possible du produit français et promouvoir la démarche locale. Cependant, nous devons respecter le consommateur en lui proposant un produit de qualité et ce devoir nous oblige quelques semaines par an à déroger à ce 1er objectif. nous restons à votre disposition afin de vous apporter des informations complémentaires et nous vous proposons de vous accueillir sur notre site où vous pourrez juger de la véracité de mes propos.
    NB : le site que vous avez trouver n'est pas notre site institutionnel, il est en refonte.
    Salutations
    Jean-Luc PAROU
    PDG DE FERME DES ARCHES

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  5. Bonjour Mr Ancey

    Permettez-moi de vous transmettre les nouvelles coordonnées de notre site internet :
    www.fermedesarches.com
    Cela vous permettra de confirmer mes propos du 24 juillet 2013
    Bien cordialement

    Jean-Luc PAROU
    PDG de FERME DES ARCHES

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  6. Bonjour
    En provenance directe de la savane rayée, je te livre le fond de mon caddie.
    Je vis dans une région fruitière, ce qui est assez agréable car nos supermarchés nous offrent bien souvent les "produits locaux" à la saison. C'est en effet un bon filon marketing actuellement.
    Depuis que j'ai lu ton article, je suis un peu plus attentive aux fameux produits locaux. Pour l'instant je n'ai pas repéré de melons ou des fraises en décembre sous l'appellation produit local. C'est un peu plus difficile d'y voir clair à propos des produits qui peuvent se conserver plus longtemps. Il faudrait connaître les durées de vie de tous les produits avec ou sans conservateurs, quels sont les différents types de modes de conservation, leur efficacité respective... je n'ai pas encore fait le tour de la question.
    Bon bref, les fraises sont là! Etant donné que la fraise des bois n'en est encore qu'à la fleur... que la fraise du jardin de mon pôpa n'a pas encore la fleur (mais il n'est pas à la même altitude, elles sont donc plus tardives), et comme le producteur est à moins d'une demi heure de route, je vais aller voir si c'est du local plein champ ou de la serre ou de l'importation (mais la fraise est un peu fragile pour ça).
    Suite de l'enquête dans quelques jours.
    Bonne journée
    Cuicui


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  7. Bonjour,
    cette histoire me fait penser à une histoire un peu ancienne. Mes parents étaient producteurs d'agneaux en centre Bretagne. La production assez conséquente d'environ 100 à 120 brebis était revendue à une coopérative locale qui disposait d'un abattoir dans les Côtes d'Armor. Donc elle abattait et commercialisait les productions des éleveurs régionaux.
    Mais ... les volumes produits localement étaient insuffisants pour faire tourner la structure : abattoir, organisation commerciale devant fournir une offre constante aux clients etc...
    Et donc cette coopérative de producteurs était contrainte d'importer des agneaux vivants de Grande Bretagne et d'Irlande.
    Ca c'était il y a 25 ans. Maintenant il n'y a quasi plus d'élevages ovins par ici, la Nouvelle Zélande a tout tué. Je connais quelqu'un qui a une société d'import de viande ovine de NZ, avec un bureau, une voiture, un ordi et un téléphone il a l'air de faire un profit conséquent : maison luxueuse, bateau, voiture de luxe changée tous les deux ans. La viande arrive en France même pas congelée, car me dit-il sous azote elle tient 90 jours seulement réfrigérée, le coût du transport en containers réfrigérés je crois que c'était 0.3 € par kg.
    Il suffit de quelques boites comme la sienne pour foutre en l'air toute une filière de producteurs locaux.
    Bon après, les productions françaises font aussi des dégâts dans d'autres pays, je pense au poulet français qui tue les producteurs dans certains pays africains.

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